Voici un extrait de l'article de Wikipedia sur Milady de Winter, personnage clé du roman Les Trois Mousquetaires, que j'ai trouvé tout à fait intéressant. Ce texte a été retiré car il a été considéré, à mon avis avec raison, qu'il n'avait pas sa place sur Wikipedia, ce qui n'est pas une raison pour le laisser tomber dans l'oubli.
Milady innocente
On pourrait s'étonner que dans le simulacre de procès, une telle place soit accordée sans recul aux accusations du bourreau. Bourreau dont on peut douter de l'impartialité et de la probité, puisque, on le verra plus tard, il se fait payer, dans un premier temps, pour exécuter quelqu'un sans autorisation de justice. Cela semble d'ailleurs être sa spécialité.
L'affaire de Templemars
Qu'en est-il exactement ? Milady, qui aurait prononcé des vœux, dont on ignore s'ils sont volontaires ou pas, s'échappe du couvent des bénédictines de Templemar, avec le prêtre.
Il ne semble pas que ses accusateurs lui aient reconnu le simple droit de rompre ses vœux. Après tout, l'édit de Nantes en vigueur à l'époque permettait déjà de changer de religion. Et pourquoi la juger plus sévèrement qu'Aramis ?
Seulement voilà, il y a vol des vases sacrés.
L'accusation de complicité entre la jeune fille et le prêtre ne vient que du bourreau, frère du prêtre. Voyant que seul son frère est condamné, il décide de flétrir lui-même la jeune fille. Jeune fille qui, soit dit en passant, aurait été condamnée par la justice si elle avait été reconnue coupable !
S'appuyant sur la souffrance qu'il a éprouvé à flétrir lui-même son frère, il réussit à se poser en victime, ajoutant au passage, une accusation de séduction du prêtre et du fils du geôlier.
A-t-elle séduit le prêtre ?
On pourrait s'étonner qu'à notre époque, peu de personnes évoquent l'âge de Milady quand elle a été flétrie. Il semble, d'après les révélations du bourreau et d'Athos, qu'elle ait eu à peine 14 ans au moment des faits.
Lorsqu'il se confie, Athos parle d'une jeune fille d'environ 16 ans, et lors de la mascarade du procès, le bourreau se pose en victime. Il a fait 2 ans de prison parce que son frère s'est évadé. Le bourreau a été libéré quand le prêtre est revenu, après le mariage de Milady (alors Anne de Breuil) avec le comte de La Fère.
Les explications sur cette époque sont très succinctes2. Néanmoins elles portent à croire que la jeune fille avait au plus 14 ans.
Cela soulève d'autres questions importantes : à quel âge aurait-elle prononcé des vœux perpétuels ? Dans quelle mesure est-elle responsable de ses vœux ? Et surtout est-elle responsable d'avoir séduit un prêtre très probablement plus âgé qu'elle ? Ne serait-ce pas plutôt l'inverse ? Milady jeune fille ne serait-elle pas victime d'un détournement de mineure ?
Coupable d'être bigame
On pourrait regretter l'absence d'un minimum de droit déjà en vigueur à l'époque. Les Anglais avaient le droit de divorcer. Or, un doute plane sur la nationalité de Milady. Dans La Jeunesse des Mousquetaires, elle se présente comme la fille d'un gentilhomme gallois, époux d'une Française Anne de Bueil (ou de Breuil). On notera que son mariage avec Lord de Winter durera deux ans. (Jeunesse des Mousquetaires, acte III, 9e tableau,scène III).
Mais deux autres éléments, et non des moindres, la rendent innocente du délit et lui accordent des circonstances atténuantes. D'abord Athos fait tout pour se faire passer pour mort. En témoigne le duel avec l'anglais, qu'il tue parce qu'il voulait connaître son véritable nom. Athos dira lui-même « On me croit mort ! »
Ensuite, quel avenir pourrait-on donner à une jeune femme de 16 ans, victime d'une tentative d'assassinat de la part de son mari, qui prétendait l'aimer ? Au passage, on peut noter qu'Athos, qui se pose en juge, oublie particulièrement de raconter son crime, et encore moins de dire haut et fort à tous, qu'il est ce fameux premier mari !
Changement d'identité
.....quid d'Alexandre Dumas qui l'appelle Charlotte Backson dans La Jeunesse des Mousquetaires, Anne de Breuil dans Les Trois Mousquetaires et Anne de Bueil dans 20 ans après ?
Anne de Breuil est le nom de sa mère. Ce n'est pas si grave que ça de relever un nom de famille....
Accusée d'être une débauchée
L'accusation est émise dans 20 ans après par son beau-frère, Lord de Winter. Personnage dont on parle peu, mais qui relève d'une certaine perversité.
Certes, Milady ne brille pas par la vertu ! Mais que voudrait-on exiger d'elle ? Une fidélité absolue au Comte de La Fère, dont elle garde la bague pendant une dizaine d'année... Ces accusateurs donnent-ils eux-mêmes l'exemple ? Au contraire, non seulement ils ont une moralité douteuse, mais de plus, un jugement très partial dans ce domaine. Pourquoi ? Le roman évoque la duchesse de Chevreuse, présentée comme une grande dame très respectable. Or, de notoriété publique la duchesse de Chevreuse avait de nombreux amants. Ne va-t-elle pas d'ailleurs séduire Athos, déguisé en prêtre.... et devenir ainsi la mère du vicomte de Bragelonne ? Pour abandonner l'enfant....
Pourquoi donc juger Milady plus sévèrement que la duchesse de Chevreuse ?
Avoir fait tuer Buckingham
Sur ordre discret de Richelieu, comme on le voit dans l'entretien du Colombier Rouge... quant à nos mousquetaires qui font tomber la couverture d'une espionne en période de guerre « ils mériteraient la cour martiale », comme le dira son Éminence à la fin du roman.
Trois meurtres
On pourrait objecter, dans un esprit féministe, que les armes des hommes ne sont pas celles des femmes, et que les duels des trois mousquetaires n'ont pas de motif valable de donner la mort, à part l'honneur et l'orgueil.... Nous sommes donc en présence de donneurs de leçon qui oublient de regarder la poutre qu'ils ont dans l'œil.
Le meurtre du second mari pourrait s'expliquer dans une logique de survie après ce que Milady a vécu avec le comte de La Fère. Il en va de même de l'affaire Brisemont, en réalité tournée contre d'Artagnan.
Des circonstances atténuantes, donc. Reste le meurtre de Constance. Meurtre « idiot », aussi bien dans la manière puisqu'il y a des témoins au bout du couloir, que dans le mobile. Pourquoi ? D'ailleurs, dans La Jeunesse des Mousquetaires, Milady regrette son geste.
Milady et l'amour
En dépit de sa froideur professionnelle, Milady agit aussi par sentiment : il est probable qu’elle a rencontré de Wardes blessé à Boulogne et qu’il lui a plu (d’Artagnan lui-même s’était attendri un instant en considérant ce beau jeune homme blessé qu’il abandonnait dans un bois en dehors de Boulogne) ; et, comme une vraie lionne qu’elle est, elle fait les premiers pas et lui envoie une lettre sans équivoque. Elle reçoit celui qu’elle croit être de Wardes puis celui qu’elle sait être d’Artagnan au vu et au su de tout le monde ; seule la question de la fleur de lys oblige à quelques précautions... Après tout, elle est riche, veuve et libre. Démasquée par d’Artagnan, elle prend bravement la direction des opérations : sans doute ne parvient-elle pas à le tuer elle-même mais elle engage des bravi, lui envoie de son fameux vin d’Anjou et profite de l’énormité du service exigé par Richelieu pour demander sa tête. L’espionne est aussi une femme amoureuse et qui a de bonnes raisons d’être jalouse.
Milady victime
On pourrait ainsi proposer une lecture féministe des Trois Mousquetaires qui inverserait les rôles : Milady serait une attendrissante victime et ses ennemis d’abominables canailles. L’idée est soufflée par une fortune littéraire, peu connue en France, de son modèle la comtesse de Carlisle : cette authentique intrigante figurerait[réf. nécessaire] dans l'œuvre de Robert Browning (Strafford, a Tragedy, 1835) un personnage héroïque qui essaye en vain — toujours la fatalité historique — de sauver le comte de Strafford[réf. nécessaire]. Expédions d’abord l’affaire du couvent de Templemar : il est évident qu’on a enfermé chez les bénédictines pour des raisons de famille une pauvre enfant aussi dépourvue de vocation religieuse que la Suzanne Simonin de Diderot. Il est impossible, avons-nous dit, quand on a prononcé ses vœux, de quitter légalement la clôture ; il faut bien trouver un protecteur et le seul homme qu’on ait l’occasion de rencontrer est évidemment un prêtre. Il ne va pas aider gratuitement la jeune religieuse. Mais est-ce la faute de l’homme, ou de la malheureuse enfant ? La vengeance qu’en tire le bourreau de Lille est privée et infâme. Après quoi il faut bien vivre et, si le prêtre doit exercer sa profession, sa maîtresse n’a guère d’autre choix que de se faire passer pour sa sœur et de chercher un bon établissement ; l’occasion se présente en la personne du comte de La Fère qui l’épouse comme un galant homme qu’il est. Devenue comtesse et parée des joyaux de famille qui lui reviennent de droit elle fait, au dire même d’Athos, une comtesse plus qu’acceptable, tenant admirablement son rang. Le funeste accident de chasse qui occasionne la découverte de la fleur de lys n’est pas à l’honneur d’Athos : il argue de droits féodaux parfaitement barbares pour pendre sa femme à l’arbre le plus proche, et il dissimule hypocritement son acte. « Ciel ! Athos ! un meurtre ! » s'écrie d'Artagnan, l'apprenant finalement. Et Athos d'acquiescer « Oui, un meurtre, pas davantage. »
La comtesse de La Fère ressuscitée d’une façon ou d’une autre n’a plus qu’à gagner le large. Elle trouve refuge en Angleterre. Elle choisit un autre grand seigneur benêt et honnête homme à qui elle donne un enfant, à moins qu’elle n’ait arrangé ce mariage que pour donner un père au fils d’Athos, ce qui aurait le piquant de faire de ce vertueux personnage l’assassin de sa femme et de son fils. Le comte de Winter meurt subitement et manifestement empoisonné. Milady accuse son beau-frère dans son récit à Felton. Et si elle disait vrai ? Lord de Winter l’accuse quand les mousquetaires la jugent, mais est-il vraisemblable qu’il eût gardé des relations cordiales avec sa belle-sœur, amenant des amis chez elle, place Royale, buvant son vin d’Espagne, s’il la prenait pour une empoisonneuse ? On pourrait penser qu'elle a été vraiment violée par Buckingham, car même si le narrateur extérieur en parle comme « des accusations infâmes et imaginaires de Lady de Winter », le duc anglais est décrit par les chroniques du temps comme un habitué de la méthode à la hussarde. Tallemant des Réaux par exemple raconte la rencontre de Buckingham et d'Anne d'Autriche dans les jardins d'Amiens en termes crus : « Buckingham tint la Reine toute seule dans un jardin ; au moins il n'y avait qu'une Madame du Vernet, sœur de M. de Luynes, dame d'atours de la reine, mais elle était d'intelligence et s'était assez éloignée. Le galant culbuta la reine et lui écorcha les cuisses avec ses chausses en broderies... »
L’attitude de d’Artagnan est également inqualifiable : il lit un billet dont il sait pertinemment qu’il ne lui est pas destiné, passe la nuit avec Milady en se faisant passer pour le comte de Wardes, lui envoie une lettre ignoble au nom de ce gentilhomme ; couche encore avec Milady, cette fois en son nom propre parce qu’elle a l’imprudence de payer d’avance à d’Artagnan le service qu’elle attend de lui, c’est-à-dire le meurtre de de Wardes. Ajoutons que pendant ce temps, le mousquetaire séduit la soubrette, pour laquelle tout lecteur de Dumas a toujours un faible, parce qu’elle est une autre victime des soi-disant gentilshommes du temps.
L’épilogue du roman constitue un condensé de violence et d’hypocrisie masculines : pour dissimuler ce corps martyrisé par l’emprisonnement, le viol, le fer rouge, les tromperies des roués, ils sont six hommes armés à le décapiter, à l’enfermer dans un sac, à le jeter dans la Lys, en s’abritant derrière la « Justice de Dieu. » Et ce n’est pas fini : on s'acharnera encore sur le fils de la victime. Le sort de Mordaunt reproduit celui de sa mère ; élevé par des domestiques dans le luxe d’une demeure aristocratique anglaise (car il est peu probable que sa mère l’ait emmené sur le continent), il a été dépouillé de ses titres, ce qui est admissible étant donné sa naissance ; ce qui l’est moins est l’abandon total où il a été jeté par sa famille anglaise ; Lord de Winter aurait pu assurer de façon décente l’avenir de celui qu’il croyait sans doute le fils naturel de son frère aîné.
On pourrait aussi soutenir que beaucoup de ces actions qualifiées de crimes par les mousquetaires ne relèvent que de son travail d'espion, comme leur travail de mousquetaires. Elle est loyale à son employeur, le Cardinal (lui moins envers elle...). Peut-on dire que, par exemple, essayer de faire en sorte que la liaison secrète de la reine de France avec le premier ministre de l'Angleterre soit découvert, soit nécessairement plus criminelle que d'essayer de faire que cette liaison reste cachée au roi français ? Également, en temps de guerre avec l'Angleterre, quand le duc de Buckingham s'apprête à mener une flotte contre les français, ne peut-on dire qu'une espionne française envoyée pour faire assassiner le duc, ne fait que son devoir ? De surcroît elle fait bien son travail, elle est courageuse et ingénieuse, est une sorte de James Bond au féminin, peut-être avec quelques scrupules de moins… Elle n'était pas coupable d'être allée en Angleterre pour tuer son beau-frère comme l'on a prétendu — ceci n'était pas son but. Si elle a parfois abusé d'autres personnes, et parfois tué sans beaucoup s'en soucier, l'on pourrait dire la même chose pour les mousquetaires, toujours prêts à tuer les inconnus dans des duels pour quelque prétendue offense à leur honneur etc. Elle est une femme forte et indépendante à une époque où les femmes étaient souvent dominées par les hommes.